vendredi 1 novembre 2013

La science en réseaux : des projets participatifs (et un peu d'espionnage) sur votre ordinateur ou votre smartphone

Depuis le lancement du projet SETI@home, qui permettait aux utilisateurs de débusquer d'éventuels traces de vie extraterrestre, les projets scientifiques en réseaux connaissent un essor croissant. Aujourd'hui, en laissant tourner son ordi pendant la pause déj, on peut participer à la recherche sur le paludisme, celle des nombres premiers, simuler le repliement d'une protéine ou le stockage de déchets radioactifs. On peut même contribuer à la lutte contre le cancer en jouant à un jeu vidéo ! Les terminaux mobiles comme les téléphones ou les tablettes, bourrés de capteurs, permettent aussi de constituer d'immenses réseaux de surveillance de phénomènes physiques à grande échelle. Hélas, se profile aussi l'inquiétude d'une surveillance systématique et globalisée. Découvrez comment votre portable peut aider à cartographier les séismes ou se transformer en mouchard infaillible !

La recherche d'extra-terrestres et le calcul distribué

Le programme américain SETI (acronyme de Search for Extra-Terrestrial Intelligence) est lancé dans les années 60. Il regroupe alors divers projets dont le but est de détecter d'éventuels signaux émis, volontairement ou non, par une forme de vie extra-terrestre intelligente. La plupart se basent sur l'observation, puis l'analyse des rayonnements électromagnétiques reçus sur Terre, notamment dans le domaine des ondes radios. L'observation de ces signaux nécessite un radiotélescope et le signal, un traitement assez lourd : il faut par exemple soustraire le bruit de fond et repérer, dans ce qui reste, la signature d'une éventuelle activité extra-terrestre. Ce traitement est bien sûr informatisé, mais nécessite de nombreuses heures de calculs sur des ordinateurs très puissants.


En 1999, le projet SETI@home, précurseur dans le calcul distribué, est lancé par l'Université de Berkeley. Le but est de profiter de la puissance grandissante du parc informatique mondial pour analyser la quantité astronomique de données recueillies dans le cadre du programme SETI. Chaque utilisateur, peut chez lui, participer à la quête cosmique en installant un logiciel qui exploite les ressources de son ordinateur quand celui-ci est peu ou non utilisé : un petit paquet de données est téléchargé et analysé, puis le résultat est renvoyé au serveur de l'Université. A l'époque, le super calculateur le plus puissant au monde, l'ASCI RED, représente une puissance de 2,38 téra-flops et coûte une petite fortune. Répartir l'analyse des donnés sur une multitude d'ordinateurs lambda est une idée bigrement ingénieuse. Popularisé par les étudiants et par son but excitant, le projet SETI@home est un succès. En 2009, 180 000 personnes participaient à la traque aux extra-terrestres, totalisant une puissance de 617 téra-flops. Malgré ce programme ambitieux, aucun signal convaincant n'a été décelé. Le projet a souffert par la suite de déboires financiers, mais il est toujours actif.

Mathématiques, Biologie, Physique : les applications du calcul distribué.

L'expérience SETI@home a servi de test et a permis de mettre au point des solutions informatiques pour optimiser le calcul partagé. Celles-ci ont été adaptées à d'autres problèmes et aujourd'hui, l'essor d'internet aidant, les projets scientifiques exploitant le calcul distribué se sont multipliés. L'Université de Berkeley ne s'est pas arrêtée en si bon chemin et a mis en place la plate-forme BOINC (l'acronyme de Berkeley Open Infrastructure for Network Computing) dédiée au calcul distribué. Pour aider la science, et si vous n'êtes pas opposés à l'idée que l'on puisse exploiter votre matériel et votre abonnement EDF, il vous suffit de télécharger et d'installer le logiciel BOINC. Ensuite, rendez-vous sur cette page pour choisir le projet auquel vous voulez contribuer. Vous pouvez aussi visiter le portail de l'Alliance Francophone, plus facile d'accès et plus joli que son grand frère américain :
http://www.boinc-af.org/index.php
Chasse aux astéroïdes, intelligence artificielle ou biologie moléculaire, vous aurez l’embarras du choix ! Vous pouvez également soumettre votre propre projet scientifique. Si cela ne suffit pas, voici quelques autres initiatives du même genre :
  • En mathématiques, le Great Internet Mersenne Prime Search, ou GIMPS, permet aux internautes de chercher (et de trouver !) les nombres premiers de Mersenne (des nombres premiers qui s'écrivent sous la forme 2p-1, où p est lui-même en nombre premier). Ce projet déjà permis de trouver les quatorze plus grands nombres premiers de Mersenne connus, ce qui a valu des récompenses en espèces sonnantes et trébuchantes : 50 000 $ pour la découverte du premier nombre premier de plus d'un million de chiffres (avec M6 972 593, 2 098 960 de chiffres) et 100 000 $ avec la découverte du premier nombre premier de plus de dix millions de chiffres. Le plus grand nombre premier de Mersenne connu à ce jour est 257 885 161-1. Le GIMPS partage l'argent avec l'internaute ayant participé à la découverte : avis aux amateurs ! D'autres projets mathématiques existent, comme Seventeen or Bust qui se propose de démontrer la conjecture du problème de Sierpiński ou distributed.net, spécialisé dans les challenges de chiffrement en cryptologie.
  • En biologie moléculaire, le projet Folding@home propose aux utilisateurs de simuler le repliement des protéines dans diverses situations. Les résultats peuvent avoir des applications concrètes dans de nombreux domaines, de la synthèse de nouveaux médicaments à la compréhension de certaines maladies. Le rôle d'une protéine dépend en effet essentiellement de sa forme : sa configuration détermine la façon dont elle va interagir avec d'autres molécules. Comprendre dans quelle situation de température, d'acidité ou de pression la protéine change de forme (et donc de fonction) peut s'avérer déterminant dans la recherche de traitements médicaux. Ci-dessous, la vidéo de présentation du projet :

Un jeu vidéo pour lutter contre le cancer

Encore plus fort : en téléchargeant gratuitement le jeu PLAY TO CURE - Genes in space sur votre téléphone ou votre tablette, vous pourrez contribuer à l'analyse de données génétiques recueillis auprès de malades atteint du cancer du sein, tout en pilotant un vaisseau spatial. Voici un petit trailer du jeu, développé à l'initiative de CANCER RESEARCH UK :


Le but du jeu est de collecter une substance précieuse, l'élément alpha, disposée sur votre chemin. Ce faisant, vous aidez les chercheurs à repérer des structures d'intérêt dans leurs données. Les yeux et le cerveau humains se révèlent en effet des instruments d'analyse très performants, pourvu que les données soient représentées sous forme aussi visuelle. En choisissant le "meilleur chemin", vous naviguez en réalité dans un espace de données colossal, celui d'une micromatrice d'ADN. Ce dispositif biotechnologique permet d'analyser le niveau d'expression des gènes dans les échantillons collectés auprès des malades et de les comparer à des échantillons de référence. On peut ainsi classer précisément les tumeurs ou observer l'effet d'un médicament. En gros, quand le jeu affiche ceci :

Une capture d'écran de la route intergalactique dans le jeu Genes in Space
Les chercheurs voient cela :

Un graphique montrant la localisation des gênes dont l'expression a été altérée
Pour en apprendre davantage, on peut lire cet article (en anglais).

Les téléphones transformés en stations scientifiques (en ou mouchards de poche)

Après avoir mis à profit les ordinateurs fixes, les développeurs se sont naturellement tournés vers les appareils mobiles, en particulier les téléphones qui embarquent une technologie impressionnante et une puissance de calcul similaire à celle d'un ordinateur plus vieux de trois ans. Cette fois, ce sont les différents capteurs de votre appareil (gyroscopes, accéléromètres, GPS, micro et caméras, capteurs de luminosité ou de température etc.) qui sont exploités. Sur le Galaxy S4 (pub gratuite), on trouve même un baromètre, un hygromètre et un magnétomètre ! En combinant les informations fournies par ces instruments, on peut non seulement enregistrer précisément certains signaux mais aussi connaitre de façon fiable le contexte dans lequel ils ont été recueillis. Avec presque un téléphone portable par habitant sur la planète, soit environ 7 milliards de terminaux, le potentiel est énorme ! Certes, tout le monde ne possède pas le dernier smartphone en vogue, mais tout de même..

Un des derniers exemples d'application en date est celui de l'étude de la pollution sonore, dont la cartographie coûte cher en termes de temps et d'équipements. Des chercheurs du Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation en Australie ont mis ont point une application mobile, baptisée Ear-Phone qui permet de cartographier la pollution sonore. Le principe n'est pas nouveau puisqu'il avait déjà été proposé dans un papier publié en 2012 par une équipe espagnole. Dans un premier temps, l'application utilise le système GPS de l'appareil pour déterminer si l'utilisateur est à l'extérieur. Ensuite, il faut savoir si les bruits enregistrés correspondent au bruit environnant, à une conversation téléphonique ou encore à la musique d'un jeu. Pour cela, elle se sert des équipements audio pour analyser le signal sonore. L'application interroge même le capteur de luminosité pour savoir si le portable est coincé dans une poche ou au fond d'un sac à main. Si tous les tests sont concluants, elle enregistre un échantillon de quelques minutes ainsi que l'heure et l'endroit. Les données sont alors envoyées dans un centre de traitement, avant d'être analysées puis détruites. L'article décrivant le procédé est disponible ici.


Capture d'écran de l'appli iShake
Sur le même principe, des chercheurs ont imaginé une application qui transforme votre téléphone en sismographe de poche : iShake. L’accéléromètre (lire cet article pour savoir comment il fonctionne) est alors utilisé pour mesurer l'amplitude des mouvements du sol. Couplé au GPS, ce système pourrait se révéler bien plus utile et complet que les solutions actuelles. Il permettrait en particulier aux équipes de secours d'identifier précisément les endroits où ils doivent intervenir en priorité. Pour l'instant, l’accéléromètre n'est pas aussi sensible qu'un vrai sismographe, mais le dispositif devrait profiter du développement rapide des technologies dans ce secteur.

Un dernier exemple : utiliser les portables pour les prévisions météorologiques. Une équipe britannique a eu l'idée de mettre à profit le capteur thermique de la batterie pour mesurer la température extérieure. L'appli, baptisée WeatherSignal, est disponible sur les téléphones Android cette fois. Le manque de précision (la batterie peut être plus ou moins chaude selon l'utilisation ou l'emplacement du portable) est compensé par le nombre de mesures. Dans les grandes villes, où la densité de population est forte, cette application permettrait des prévisions beaucoup plus précises et localisées. En effet, cette myriade de stations météorologiques en déplacement offrirait une meilleure couverture que les stations classiques, plus sophistiquées mais fixes et considérablement moins nombreuses ! A terme, on peut aussi envisager d'équiper les téléphones de capteurs spécialement dédiés, pour surveiller par exemple la pollution atmosphérique. Pourquoi ne pas se faire sponsoriser par Météo France en échange de quelques données sur la qualité de l'air ?

Un téléphone équipé d'un capteur CitiSense, développé par 
 l'Université de San Diego pour surveiller la qualité de l'air.


7 milliards de mouchards

A l'heure de l'espionnage de masse assumé, la principale inquiétude des utilisateurs potentiels pourrait porter sur la confidentialité des données. En dépit de leur allure, l'honnêteté des scientifiques est rarement mise en doute, mais comment garantir que les données ne soient pas interceptées par des tiers ? La plupart des applications sont développées avec des dispositifs de sécurité censés garantir la confidentialité et les données sont rarement conservées, mais ces mesures ne se sont pas montrées très efficaces en d'autres occasions. En témoignent les piratages massifs et réguliers, comme celui qui a ciblé Adobe au début du mois d'Octobre : plus de 3 millions de comptes clients piratés et le code source de Photoshop volé..

Les applications utilisant la géolocalisation sont une plaie pour le respect
 de la vie privée des utilisateurs. Slide prélevé ici.
Un autre motif d'inquiétude est l'absence de sécurité informatique liée aux capteurs, qui pourraient permettre d'identifier un appareil de façon unique et de tracer l'utilisateur, sans qu'il le sache. L'effrayante démonstration d'une équipe du Stanford Security Laboratory a remis en lumière les failles matérielles de nos équipements mobiles de façon spectaculaire. Pour cela, elle s'est appuyée sur une caractéristique spécifique à chaque téléphone : les erreurs infimes que commet l’accéléromètre. Lorsqu'il est soumis au seul champ d'accélération de pesanteur, l’accéléromètre est programmé pour retourner la valeur -1 lorsqu'il est face contre une surface horizontale et 1 lorsqu'il est posé sur le dos. En réalité, d'infimes imperfections viennent perturber le résultat et la valeur retournée n'est jamais égale à 1, ni à -1. Vous pouvez tester votre appareil en vous rendant sur ce site développé dans le cadre de l'étude. Vous obtiendrez alors un couple de valeurs avec 12 décimales qui identifiera votre appareil de façon unique. Rien de grave en soi, le problème vient du fait que ce capteur peut être interrogé sans autorisation ni avertissement par n'importe quelle application. Un simple script sur un site peut alors récupérer les valeurs de votre appareil. Celui-ci pourra alors être reconnu ultérieurement de façon à afficher des publicités personnalisées ou vous orienter vers de faux sites web.

Dans un autre article, une équipe du MIT avait déjà montré comment un portable posé à côté du clavier d'ordinateur permettait d'enregistrer ce que l'utilisateur tapait. Et l'accéléromètre n'est pas le seul composant produisant une signature unique : le micro et l'émetteur ont aussi une "empreinte" spécifique à l'appareil. On peut en apprendre davantage en lisant cet article. Mais bon, tant que nos communications personnelles restent confidentielles, il n'y pas lieu de trop s'inquiéter.

A lire sur le c@fé des Sciences : Temps caractéristique des réseaux sociaux

5 commentaires:

  1. Très joli le coup de l'accéléromètre ! Ce qui m'épate toujours dans ces cas là n'est pas tant que ce soit possible (c'est normal si on sait comment sont fait ces accéléromètres), mais que quelqu'un ait l'idée d'utiliser ça de manière malicieuse...

    Sinon, si vous installez BOINC, rejoignez le team Alliance Francophone ( http://www.boinc-af.org/ )

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  2. Oui, ça m'a impressionné aussi. Ils sont peut-être super bien payés pour penser à ce genre de trucs.. je rajoute le lien pour Alliance Francophone, en précisant que ça n'a rien à voir avec la police.

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  3. Voilà encore une application d'internet que personne n'avait prévu à sa naissance. À propos du SETI, le livre de science fiction Contact de Carl Sagan est une bonne extrapolation de ce qui pourrait arriver si on captait des signaux intelligents...Merci pour l'article.

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  4. On n'arrête pas le progrès technologique. Mais dans cette vague de révolution, on ne maîtrise pas tout à fait tous les enjeux et les dangers que permettent ces nouvelles possibilités. En tout cas, on doit voir le meilleur dans chaque chose et aller plus loin encore.

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  5. Merci pour vos commentaires :) Je n'ai jamais lu Sagan, il faut que je m'y mette !

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