La sentience des animaux est-elle explicable scientifiquement ?

Crédits : Christine Larsen

La sentience désigne la capacité des animaux à ressentir, à percevoir et à être conscient (de soi, des autres, de son environnement). Utilisé par les philosophes du 18 ème siècle pour souligner la différence avec la capacité de penser, ce concept a été repris, notamment pour parler d'intelligence et de psychologie animale. Aujourd'hui, la capacité plus ou moins grande, chez certains animaux, de ressentir ou même d'être conscient a été démontrée et, n'en déplaise aux profs de philo de Terminal S, l'Homme a perdu le monopole de la conscience depuis plus de 30 ans. Tout d'abord, précisons que ce concept n'inclut pas d'autres aptitudes irrationnelles que l'on prête parfois aux animaux (si jamais c'était le sens de ta question). Sinon, voici un début de réponse :

Et bien oui : cette capacité complexe s'est développée dans le règne animale  (notamment chez l'Homme) au cours de l'évolution. Les chercheurs pensent qu'elle découle de la capacité à ressentir des émotions primordiales, comme la faim, le froid, la peur, l'envie sexuelle, le besoin d'air etc. Ces émotions primordiales sont reliées à la notion de danger mortel immédiat et déclenchent chez l'animal un comportement qui tient du réflexe de survie. Ces émotions ont évolué en sensations plus fines qui ne signalent pas forcément un péril imminent : la sensation de tristesse ou de bonheur par exemple. Les animaux les plus évolués (au cerveau plus grand) ont développé une conscience de soi et des autres qui leur ont conféré un avantage dans l'évolution. Comprendre que son reflet dans une flaque d'eau est une image de soi ou pouvoir interpréter les actions de quelqu'un en imaginant ce qu'il peut penser est une prouesse que peu d'animaux sont capables de réaliser et qui permet d'ajuster son propre comportement de façon très subtile. Chez l'Homme, ces sensations ont atteint un degré qui parait être le plus élevé du monde animal et la palette des émotions humaines est naturellement plus fournie que celle des taupes étoilées. Cette théorie est développée, entre autres, dans le livre de Derek Denton, "Les émotions primordiales et l’éveil de la conscience".

Comment montrer que certains animaux ont une conscience ?

Les travaux concernant l'intelligence, la psychologie animale et l'émergence de la conscience ont été nombreux ces dernières décennies, vous trouverez de nombreux exemples dans ce dossier, sur les singes, les dauphins, les pieuvres, les corneilles mais aussi les abeilles et les fourmis ! Les expériences portent sur la conscience de soi, la conscience des autres, l'empathie, les comportements complexes..Pas besoin d’électrodes dans la tête pour montrer que certains animaux ont une conscience !

Le test du miroir

Une des expériences les plus "basiques" (et les plus sujettes à discussion) en éthologie cognitive et en psychologie animale est "le test du miroir" qui vise à établir si l'animal a conscience de son corps ou non. Pour cela, on peint une tache bien visible sur une partie du corps de l'animal, sur son front généralement, et on observe ses réactions face à un miroir. S'il est intrigué et fixe la tache, ou mieux, s'il essaie de la faire disparaitre, c'est qu'il a compris que ce qu'il voit est son reflet.  Il est donc conscient de son propre corps. Les animaux qui ont réussi ce test avec brio sont des mammifères évolués comme certains grands singes (les chimpanzés, les bonobos et les orangs-outans), les dauphins, les orques, les éléphants ainsi que les corbeaux, les pies et une espèce de perroquet. Certains d'entre eux s'amusent à faire de grands mouvements devant le miroir. Les humains sont susceptibles de réussir le test à partir de 18 mois. Dans cette vidéo sous titrée, on peut voir comment le test est réalisé avec des enfants et un orang-outan:

Le test du miroir a cependant des limites : il ne peut être réalisé que sur des animaux pour lesquels la vue est le sens le plus utilisé pour appréhender l'environnement.

Le test de la fausse croyance

D'autres expériences permettent de tester si un animal a conscience des autres ou s'il a conscience que les autres on conscience de lui (ça se complique). Par exemple, le test de la fausse croyance se déroule comme suit : le sujet, disons un chimpanzé, est placé derrière une vitre qui donne sur une pièce. Il voit entrer un individu humain A qui met un bonbon dans une boite et qui quitte la pièce. Un autre individu humain B arrive ensuite, prend le bonbon de la boite, le place dans un tiroir à côté, puis sort de la pièce. Désormais, le chimpanzé et l'individu B savent où est le bonbon, mais pas l'individu A. L'individu A revient dans la pièce.  La question posée au chimpanzé est alors : " Où va regarder l'individu A pour trouver son bonbon ? ". S'il le chimpanzé désigne le tiroir, c'est qu'il ne conçoit pas que les autres individus puissent ne pas penser comme lui. Il sait que le bonbon est dans le tiroir et s'imagine qu'il est en ainsi pour tout le monde.
En revanche, si le sujet désigne la boite, c'est qu'il est capable de comprendre ce que l'individu A pense. Les enfants humains acquièrent cette capacité à 3 ans au plus tôt.

Le test d'empathie

On peut aussi chercher à mettre en évidence une forme d'empathie (la faculté de comprendre ce que l'autre ressent). Par exemple, en réalisant l'expérience suivante : un singe est entrainé à devoir actionner un mécanisme pour se procurer de la nourriture. Mais ce mécanisme produit également un choc électrique douloureux sur un autre singe. Dès qu'il s'en aperçoit, le premier singe arrête de s'alimenter, restant à jeun pendant pratiquement 2 semaines ! (Masserman et al, 1964). A ce sujet, on peut lire "L’Age de l’empathie" de Frans De Waal.

Mémoire et conscience

La conscience chez les animaux est directement liée à leur intelligence et à leur mémoire. Les animaux qui peuvent apprendre, imiter, mentir, cacher, fabriquer des outils, avoir des activités sociales, politiques ou ludiques ou se mettre à la place d'un autre et imaginer ce qu'il peut penser, sont les plus susceptibles de développer une conscience qui se rapproche de celle de l'Homme. Des chercheurs ont même évoqué des consciences globales dans le cas de sociétés animales organisées comme les fourmis ou les abeilles.

Sur ces critères (liste non exhaustive), il est évident que tous les animaux n'ont pas une conscience de soi. Ils ont cependant tous la faculté d'être aware comme dirait JCVD, au moins pendant quelques secondes. Cela ne constitue pas une conscience mais une perception plus ou moins évoluée du monde, qui peut être très basique dans le cas des escargots voire quasi inexistante chez la méduse. Par contre, même s'ils ne sont pas très futés, les poissons ont une meilleure mémoire que celle qu'on leur prête : certains sont mêmes capables de retrouver, des années plus tard et parfois à des milliers de kilomètres, l'endroit où ils sont nés.

Une petite anecdote pour finir, pour illustrer la sentience chez le dauphin : lors d'un plongeon en bathyscaphe aux États-Unis, un jeune dauphin curieux vint tapoter un hublot.  Un des touristes souffla la fumée de son cigare sur la vitre pour amuser l'animal. Le petit dauphin alla téter sa mère et revint quelques secondes plus tard à hauteur du hublot, recracher le lait dont les volutes reproduisaient celles du cigare dans l'eau.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire ce mini-dossier consacré à l'intelligence animale.
Sur cette page très bien faite, vous trouverez des informations et des exemples.
Retour aux questions