mercredi 10 décembre 2014

Expériences bibliques sur la tension de surface #1

C'est bientôt l'hiver, le jour dure trois heures et les sanglots longs des violons de l'automne blessent votre cœur d'une langueur monotone. En sortant de la douche, vos cheveux restent collés et vous donnent l'air d'un cadavre de loutre. Un peu plus tard, vous nettoyez rapidement le café renversé avec une feuille de sopalin. A la radio, l’élection de Sarkozy à la tête de l'UMP est confirmée. La journée commence mal.. Mais ne vous suicidez pas tout de suite, car dans chacune de ces situations, vous avez observé un phénomène physique vital : la tension de surface. Vie de grâce ! Je vous propose aujourd'hui de comprendre comment fonctionne la tension de surface, avec un petit article plein d'expériences. En bonus : un instant biblique par paragraphe, pour allier spiritualité et travaux pratiques.

La tension de surface est un phénomène qui dicte le comportement des liquides à l’échelle des gouttes. Ce qui est cool, c'est qu'on peut faire plein d'expériences sympas et faciles pour l'observer. C'est d'ailleurs ce que je vous propose dans un premier temps, les explications viendront ensuite. Et à la fin de l'article, vous trouverez une expérience pour mesurer la tension de surface dans la cuisine.

Mettre en évidence la tension de surface : Trombone de Nazareth

La surface bombée de l’eau dans un verre rempli à ras bord. Crédits
Pour observer les effets de la tension de surface, pas besoin de beaucoup de matos : dans un premier temps, un simple verre d’eau suffit. Remplissez-le à ras bord, mais sans déborder ! Puis, continuez très lentement à verser de l’eau dans le verre : il ne déborde pas. Une force semble empêcher l’eau de s’écouler le long du verre. En regardant le verre de face, on observe que la surface est bombée, comme si elle était délimitée par une membrane élastique.

Instant biblique : Seigneur, aidez-nous à combattre les tensions superficielles à travers le monde ! Mais que la tension superficielle subsiste à jamais !

Maintenant, placez soigneusement un trombone (à papier hein) à la surface de l’eau en utilisant une pince à épiler, ou vos doigts si vous avez confiance en votre dextérité. Le trombone est composé d’acier, un métal bien plus dense que l’eau, pourtant, il ne coule pas. Il semble porté par la surface de l’eau, comme Jésus par la mer. La surface de l'eau s’est déformée sous le trombone ; en plaçant un quadrillage sous le verre, on visualise facilement cette courbure (voir photo ci-dessous). Si vous êtes VRAIMENT doués, vous pouvez même réaliser ce tour avec une petite pièce de monnaie (en particulier si vous vivez dans un pays où les pièces semblent composées de plastique).

Instant biblique : Prière à Saint Cassien d'Autun, saint patron des secrétaires : Saint Cassien, puisses tu faire en sorte que la courbure de l'eau ne soit jamais conclave.

Un trombone à la surface de l’eau. Crédits : K. Madjer
Déformation de la surface de l'eau visualisée avec une grille. Crédits : K. Madjer
Effleurez maintenant le trombone du bout du doigt, de façon à en immerger une partie. Dès que le trombone est « mouillé », même partiellement, il est comme aspiré par l’eau et sombre dans le fond du verre. Vous pouvez ainsi vous amuser à compter combien de trombones il est possible de faire couler dans le verre avant qu’il ne déborde : joie et allégresse ! Si vous avez la flemme de réaliser l'expérience, voici à quoi ça ressemble :

Instant biblique : Seigneur dieu, porte-moi comme l'eau le trombone et remplis ma coupe, j'ai soif.

La sainte capillarité

Capillarité dans des tubes. Crédits : Sweet Random Science
Munissez-vous d’une paille, transparente de préférence, et plongez-la dans l'eau. L’eau remonte dans la paille, au-dessus du niveau d’eau du verre.

En utilisant des tubes en verre de diamètre différents, on peut s’apercevoir que la hauteur d’eau dans le tube est proportionnelle à son diamètre : plus celui-ci est petit, plus l’eau monte (sur des distances de l’ordre du mètre). On appelle ce phénomène la capillarité. C’est la capillarité qui permet à l’éponge d’être aussi efficace et au papier essuie-tout d’absorber plus de vingt fois son poids en eau : ces matériaux poreux contiennent des poches d'air qui aspirent les liquides par capillarité.

Instant biblique : dieu, fasse que la capillarité compense mes actions et élève mon âme au-dessus du niveau de référence.


La plupart des végétaux exploitent la capillarité pour transporter la sève (toujours sur des distances de l’ordre du mètre, faut pas rêver non plus). Pour s’en convaincre, on peut réaliser une expérience simple avec des branches de céleri fraîchement coupées, mises à tremper dans de l’eau colorée. Vous pouvez utiliser des colorants alimentaires ou même du sirop de menthe ou de grenadine. Les capillaires de la tige vont rapidement transporter l’eau colorée jusqu’aux feuilles. On peut couper la tige à différentes hauteurs pour observer la coloration des capillaires. Il est même possible de colorer ainsi les fleurs d’un bouquet : essayez avec une rose blanche par exemple ! Ci-contre : Les tubes capillaires du céleri. Crédits : Wikipédia
Pour sceller son alliance avec les hommes, dieu offrit un arc-en-ciel de céleri au maraîcher de Jérusalem.  
Instant biblique : Mais ils lui dirent : "Nous n'avons ici que trois branches de céleri." Et Jésus dit "Apportez-les-moi." Puis, il bénit les branches et les tendit aux disciples. "Mais il n'y a toujours que trois branches de céleri !" s’étonnèrent les disciples. "C'est vrai, mais elles sont rouge, verte et bleue maintenant, prenez-en de la graine !" répondit Jésus.

Surface Tension Genesis

Dans les liquides, les molécules sont soumises à de nombreuses interactions (en orange dans le schéma ci-dessous) dont la résultante est attractive, de sorte que chaque molécule aime à s’entourer de ses semblables. Une molécule bien entourée est attirée de toutes parts, c’est donc une molécule stable, comblée d’un point de vue énergétique (1). En revanche, une molécule qui se retrouve à l’interface avec l’air perd en moyenne la moitié de ses interactions attractives, ce qui est défavorable d’un point de vue énergétique (2). Elle se trouve alors soumise à une force qui tend à la ramener au sein du liquide et elle passe moins d’un millième de seconde à la surface !

Instant biblique : Et voici Jésus s'approcha d'elles et leur parla en paraboles : molécules, aimez-vous les unes les autres et soyez polarisées, à travers la surface de la Terre.
 Schéma montrant les interactions entre molécules d’eau, dans le liquide et à la surface. Crédits : K .Madjer
La tension de surface n'est pas vraiment une force, c'est une mesure de l’énergie qui fait défaut aux molécules de la surface. Elle s’exprime en joules par unité de surface (Joules /m²). Elle donne aussi une mesure de la force qui tend à ramener les molécules situées à la surface dans le liquide. Elle équivaut alors à une force par unité de longueur (Newton /m).

La surface du liquide est donc modifiée par le comportement des molécules qui ont tendance à fuir la surface. Le liquide va spontanément s’organiser de façon à minimiser le nombre de molécules en contact avec l’air. On peut comparer ces dernières aux manchots sur la banquise : les plus exposés au froid tentent coute que coute de réintégrer la chaleur réconfortante de la horde (lire Pourquoi les gouttes sont-elles sphériques ? Molécules, manchots et tension superficielle.)
Représentation schématique de l’évolution de l’interface eau/air dans une goutte d’eau.


Une bulle d'air dans une bulle d'eau en apesanteur.
Le liquide va adopter, dans la mesure du possible, une forme qui lui permet de contenir un maximum de molécules tout en garantissant un minimum d’exposition à l’air. La sphère étant la forme permettant d’exposer un minimum de surface pour un maximum de volume, les liquides vont tendre leur surface pour y ressembler le plus possible.

Dans un liquide, les forces qui agissent sont en compétition : la force de pesanteur écrase le liquide et l’oblige à s’étaler, mais la tension de surface lui fait bomber le torse. Ainsi, plus une goutte est volumineuse, plus elle a tendance à s’étaler. Dans l’espace, loin de toute influence gravitationnelle, la seule force à l’œuvre est la tension de surface. Tous les liquides adoptent alors une forme sphérique.
 L’astronaute Clayton Anderson observe une bulle d’eau en apesanteur. Crédits : NASA 
Dans l’expérience sur la capillarité, il se passe deux choses : les molécules préfèrent être en contact avec les parois du tube plutôt qu'avec l'air mais les molécules veulent tout de même rester groupées. Les molécules d’eau proches des parois commencent donc par remonter contre les parois, de façon à augmenter la surface de contact avec le tube (1). Puis, celles du centre remontent (2), histoire de se serrer les coudes entre copines, et ainsi de suite (3), jusqu’à ce que la gravité mette le holà à cette tour de Babel hydraulique (4). Plus la tension de surface du liquide est élevée, plus cette force d’attraction est forte, et plus le liquide monte dans le tube. Sans gravité, la tension de surface est seule maitre à bord, et ça donne des trucs marrants, comme cet essorage de serviette en apesanteur :

De l'eau et du mercure dans des éprouvettes. Crédits
La montée dans le tube dépend aussi de l’affinité du liquide pour le matériau du tube : si l’eau aime le verre, d’autres liquides n’ont pas ce penchant. Le mercure par exemple, déteste le verre au point de descendre dans le tube ! La capillarité ne marche donc absolument pas avec du mercure. Si vous êtes un trompe-la-mort et que vous buvez du mercure au pti-dej, n’espérez pas pouvoir l’éponger en cas d'accident. Je vous laisse voir ce que ça donne dans la vidéo ci-dessous.

Instant biblique : Travail de réflexion ; la transsubstantiation est-elle possible en apesanteur ? Si oui, le sang du christ est-il sphérique ?


Une question d’énergie 

La tension de surface dépend directement de l’importance de l’énergie de cohésion au sein du liquide, qui dépend elle-même de la nature du liquide. Elle dépend aussi de l’interface : en général, on donne des valeurs pour une surface de liquide en contact avec l’air, à température ambiante. Pour le mercure, elle vaut presque un demi N/m ! Pour la plupart des huiles, la tension de surface est relativement basse (environ 20 mN/m). Pour l’eau, elle est bien supérieure, en raison des liaisons entre atomes d’hydrogène, et vaut environ 72 mN/m à température ambiante. Cela peut paraître faible, mais pour des objets à l’échelle du millimètre, cette force équivaut à celle de la pesanteur. Autant dire que si vous étiez une fourmi, vous rigoleriez moins avec les gouttes de pluie. Certains insectes, comme le gerris, exploitent la tension superficielle : leurs pattes couvertes de poils hydrophobes courbent la surface de l’eau et leur permettent de se mouvoir à la surface. Pour en savoir plus, on peut lire Un TP, un article: 1001 pattes sur Strange Stuff and Funky Things. 

Instant biblique : Travail de réflexion ; l'église doit elle condamner l'hydrophobie ?

Mesure de la tension de surface : la méthode brutale

Il existe plusieurs méthodes plus ou moins précises pour mesurer la tension superficielle. Une des plus faciles à mettre en œuvre est la méthode dite « d’arrachement ». Dans la suite, on s’intéresse à la tension de surface de l’eau en contact avec l’air.

Si vous plongez une feuille de papier dans l’eau, elle semble « aspirée » par le liquide. C’est ce principe qui est repris dans le dispositif présenté ici. Il nécessite une balance à fléau, un récipient rempli de liquide et une lame métallique.

Comme nous l’avons vu, la tension de surface est une force par unité de longueur, il est donc plus facile de la mesurer avec un objet très fin, comme une lame par exemple, dont l’interface avec le liquide va consister en une ligne. Voici comment procéder :

On installe la lame sur une des extrémités du fléau, puis on équilibre la balance avec des poids (1). Une fois l’équilibre atteint, on remonte lentement un récipient d’eau placé en dessous. A l’instant précis où la lame entre en contact avec le liquide, un ménisque d’eau se forme de part et d’autre de la lame et une force d’attraction verticale apparaît. La lame plonge alors dans le liquide (2). Il suffit ensuite d’augmenter lentement le poids sur l’autre plateau de la balance, jusqu’à ce que la lame s’arrache de l’eau : la force du poids sera alors très légèrement supérieure à celle de tension de surface. On note la différence de masse avec la situation initiale, ce qui permet de remonter à la valeur de la force appliquée pour vaincre la tension de surface. Bien sûr, on peut utiliser ce que l'on veut pour augmenter le poids sur le plateau : dans mon expérience, j'ai utilisé des grains de riz. C'est bien plus pratique que des petits poids (ha ha..hem. Bref).

Instant biblique : Mene, Mene, Tekel u-Pharsin !

Passons maintenant au calcul :

La force du poids, notée P, se calcule en multipliant la différence de masse (Δm) par l’accélération de pesanteur (g = 9,81 m.s-2) : P = Δm x g

La force F s’exerçant sur la lame lorsque celle-ci est en contact avec l’eau est égale à la tension de surface (symbolisée par la lettre grecque gamma γ ) multipliée par la longueur de la ligne de contact. Comme la lame a deux faces, la longueur de la ligne de contact vaut deux fois celle de la lame (notée L). F = 2 x γ x

A l'équilibre, les deux forces se compensent, on a donc l’égalité suivante : Δm x g = 2 x γ x L. Autrement dit : γ = (Δm x g) / (2 x L).

Dans des conditions idéales, avec une lame de 2 centimètres de longueur et une différence de masse de 0,3 grammes, on trouve une tension de surface égale à environ 73mN/m. En pratique, on trouve souvent une valeur inférieure, car la surface de l’eau a tendance à se polluer très rapidement, ce qui diminue la tension de surface.

Instant biblique : Travail de réflexion ; si dieu est l'alpha et l'oméga, que la tension de surface est notée gamma et que le deuxième ange sonne de la trompette, combien de temps faudra-t-il à Noé pour construire une tour Eiffel en allumettes ? Merde, j'aurais pas dû boire de mercure.

Au menu du prochain épisode :

On verra comment on peut jouer sur la tension de surface pour concevoir des peintures qui s’étalent, des mascaras qui imbibent les cils, des surfaces qui ne mouillent pas et des pesticides qui collent aux feuilles plutôt que de rouler au sol. On peut aussi créer des liquides à tension de surface variable, pour les rendre "vivants". Coté expérience, on verra comment mesurer la taille d'une molécule de savon en 2 minutes :)


Pour en savoir plus :
Trop de questions sur les tensions de surface… Pour ne pas aller en profondeur sur Pourquoi le Ciel est Bleu.

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    pensez-vous en faire une version pour Kidiscience?

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  2. Bonjour ! Oui, c'est dans les tuyaux, mais pour Janvier je pense :)

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