Physarum et le réseau du métro de Tokyo
Comment optimiser un réseau de transport et de distribution ? Que ce soit dans le domaine de l'énergie, des télécommunications ou encore celui des transports en commun, c'est une question que se posent quotidiennement les informaticiens et mathématiciens spécialisés en réseaux. Ils se creusent sans arrêt les méninges pour concevoir de nouveaux algorithmes capables de fournir des solutions adaptées. C'est que la question n'est pas simple : pour une situation donnée, quelle est la configuration la mieux adaptée ? Et si nous posions la question à un micro-organisme ? Voilà l'intrigante idée qu'ont eue, en 2010, des chercheurs japonais et britanniques.Physarum polycephalum dans son habitat naturel |
Physarum polycephalum est en effet habitué à résoudre un problème similaire : pour chercher de la nourriture et l'acheminer là où il en a besoin, il s'organise en réseau de petits tubes gluants. Pour des raisons évidentes, il ne s'épuise pas à construire un réseau aléatoire, au contraire : fort de ses millions d'années d'expérience, il est passé maitre dans l’art d'optimiser son réseau de distribution alimentaire. De façon générale, le réseau de Physarum est très réactif et dynamique : les branches changent sans cesse de forme et de taille, pour s'adapter aux variations des stocks de nourriture, et le réseau entier peut se déplacer de plusieurs centimètres en l'espace d'une heure ! Des chercheurs avaient déjà exhibé ses talents dans une expérience où le champignon devait trouver le chemin le plus court pour relier deux points de nourriture dans un labyrinthe :
Physarum dans un labyrinthe. Crédits : T. Nakagaki, H. Yamada and A. T´oth |
L'évolution du réseau de Physarum dans une boite de Petri représentant la région de Tokyo. |
Le lendemain, le réseau construit par Physarum ressemblait comme deux gouttes d'eau au vrai réseau de Tokyo et semblait montrer la même efficacité dans l'acheminement et la distribution de la nourriture :
L'algorithme Physarum et les problèmes d'optimisation
« Cet algorithme est simple et beau », constate Bertrand Maury du Laboratoire de mathématiques de l'université Paris-Sud, « et la démarche est originale. S'inspirer de ce que fait une petite bestiole qui obéit à des mécanismes élémentaires pour élaborer un modèle capable de résoudre en temps réel des problèmes complexes, c'est assez osé. Mais leurs résultats, si l'on en croit la publication de Science, semblent concluants. »
Modéliser le réseau routier au Royaume-Uni et aux États-Unis avec L'algorithme Physarum
Après le réseau du métro Tokyoïte, Andy Adamatzky et Jeff Jones, deux informaticiens de l'Université de Bristol, ont utilisé l’algorithme Physarum pour modéliser le réseau autoroutier en Angleterre. Dans leur étude, seules les 10 plus grandes villes du Royaume-Uni sont considérées. La moisissure virtuelle entame sa marche victorieuse à Londres bien évidemment. L'analyse des résultats montre que Physarum se débrouille plutôt bien encore une fois : le réseau obtenu ressemble au véritable réseau de routes, à la différence notable de l'autoroute reliant l'Angleterre à l'Ecosse. En introduisant des perturbations, les chercheurs observent comment le réseau pourrait être reconfiguré en cas de catastrophe naturelle ou d'accident majeur.L'algorithme Physarum recréant le réseau routier anglais. Crédits : Andrew Adamatzky, Jeff Jones |
Puis, ils ont utilisé l'algorithme Physarum pour modéliser diverses situations. Dans la vidéo ci-dessous, on peut voir comment Physarum, larguée à New-York, envahit progressivement le territoire des États-Unis, où chaque grande ville est un centre d'approvisionnement. Le micro-organisme relie une à une les grandes villes et finit par établir un réseau stable et robuste, qui laisse cependant une immense parcelle complètement à l'abandon.
Dans cette autre vidéo, un peu plus réaliste, on part d'une situation différente. Cette fois, Physarum est réparti de façon uniforme sur le territoire et doit s'adapter aux sources de nourriture, distribuées de façon irrégulière : abondantes dans les villes, elles sont au contraire très limitées dans les "campagnes". Au cours de la simulation, Physarum consomme rapidement les ressources rurales et le réseau se simplifie en se concentrant sur les grandes villes. Ces deux simulations ne reflètent pas tout à fait la réalité du réseau routier nord-américain, mais les résultats pourraient être exploités pour créer de futurs réseaux.
Aujourd'hui, Physarum polycephalum est utilisé dans l'analyse de réseaux de transports dans de nombreux pays. Les résultats sont également transposés dans des domaines où se posent des problèmes d'optimisation des réseaux de flux.
Références :
Tero et al. 2010. Rules for Biologically Inspired Adaptive Network Design. Science 10.1126/science.1177894
Les mathématiques du vivant, Ian Stewart, Éditions Flammarion
Path finding by tube morphogenesis in an amoeboid organism
A Mathematical Study of Physarum polycephalum
A New Physarum Learner for Network Structure Learning from Biomedical Data
Flow-network adaptation in Physarum amoebae
Road planning with slime mould: If Physarum built motorways it would route M6/M74 through Newcastle
Rebuilding Iberian motorways with slime mould
Dans cette autre vidéo, un peu plus réaliste, on part d'une situation différente. Cette fois, Physarum est réparti de façon uniforme sur le territoire et doit s'adapter aux sources de nourriture, distribuées de façon irrégulière : abondantes dans les villes, elles sont au contraire très limitées dans les "campagnes". Au cours de la simulation, Physarum consomme rapidement les ressources rurales et le réseau se simplifie en se concentrant sur les grandes villes. Ces deux simulations ne reflètent pas tout à fait la réalité du réseau routier nord-américain, mais les résultats pourraient être exploités pour créer de futurs réseaux.
Aujourd'hui, Physarum polycephalum est utilisé dans l'analyse de réseaux de transports dans de nombreux pays. Les résultats sont également transposés dans des domaines où se posent des problèmes d'optimisation des réseaux de flux.
Références :
Tero et al. 2010. Rules for Biologically Inspired Adaptive Network Design. Science 10.1126/science.1177894
Les mathématiques du vivant, Ian Stewart, Éditions Flammarion
Path finding by tube morphogenesis in an amoeboid organism
A Mathematical Study of Physarum polycephalum
A New Physarum Learner for Network Structure Learning from Biomedical Data
Flow-network adaptation in Physarum amoebae
Road planning with slime mould: If Physarum built motorways it would route M6/M74 through Newcastle
Rebuilding Iberian motorways with slime mould
Je suis complètement bluffé... C'est dingue ce truc ! Je connaissais la version "problème du voyageur de commerce" résolu par les fourmis, mais c'est moins convaincant, car les fourmis sont complexes, organisées, ont des code de communication. Là, on parle d'organismes cons comme des bits qui réalisent des prouesses pareilles. Le monde n'en finira jamais de me surprendre ! Merci pour cet article :)
RépondreSupprimerMerci Alan :) Ouaip, encore une expérience qu'on pourrait presque faire chez nous !
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