mardi 12 mars 2013

La semaine du cerveau et l'homme au cerveau creux

Illustration : Marc Goncalves
C'est la semaine du cerveau sur le c@fé des sciences ! A cette occasion, les auteurs vous proposent une série d'articles inédits ; découvrez par exemple le plus petit cerveau du monde, comment modéliser le cerveau, comment l'observer ou disséquez celui d'Einstein. Apprenez comment se développe le cerveau, comment il nous fait vomir en bateau et explorez d'autres sujets, comme "le cerveau et la politique" ou "le cerveau et les croyances" ! Ça se passe ici !

Quant à moi, j'ai repris un vieil article (oui je suis un flemmard) au sujet de l'homme au cerveau creux, que je vous propose de (re)découvrir aujourd'hui. Ce billet est adapté en vidéo :


En 2007, la découverte de l'équipe du docteur Feuillet, publiée dans The Lancet, a stupéfié le monde entier. L'examen d'un patient "normal" avait révélé une particularité extraordinaire : sa boîte crânienne était pratiquement vide ! Comment cet homme était-il parvenu à vivre normalement, sans troubles neurologiques ?

Images comparant le cerveau creux (à gauche) et un cerveau "normal". Les grandes zones noires correspondent aux poches de liquide. Crédits: Feuillet et al., The lancet, 2007

L'homme au cerveau creux

C'est un homme "normal" : la cinquantaine, marié, deux enfants et employé dans l'administration. En 2007, cet homme consulte un médecin à cause d'une trouble de la marche. L'équipe du docteur Feuillet apprend que, depuis son enfance, son patient prend des barbituriques pour traiter une hydrocéphalie. Ce n'est pas vraiment qu'il avait de l'eau dans la tête, mais presque. Chez tout individu normalement constitué, le cerveau et la moelle épinière baignent dans un liquide, constitué à 99% d'eau, appelé liquide céphalo-rachidien (ou liquide cérébro-spinal). Une accumulation anormale de ce liquide dans la boîte crânienne est appelée hydrocéphalie. Cette pathologie cause parfois une compression des tissus cérébraux mais peut être traitée en évacuant le liquide en plantant une sorte de paille dans le crâne. Petit, ce patient avait donc subi une opération durant laquelle on avait installé un tube qui reliait l'intérieur du cerveau à l'abdomen, permettant ainsi l'écoulement et l'élimination du liquide. Au fil des années, le tuyau était devenu trop court et il avait fallu le remplacer. Le neurologue Jean Pelletier raconte, dans Cerveau et psycho :

"Lorsque j'ai appris son passé médical, je lui ai naturellement conseillé de passer un scanner, et c'est alors que nous avons découvert ce spectacle peu commun : un cerveau réduit à une bande de quelques centimètres d'épaisseur, contre la paroi crânienne. "

Manifestement, le nouveau tuyau s'était bouché et le patient avait vécu trente ans sans s'apercevoir que le liquide s'accumulait graduellement dans son cerveau, remplissant sa boite crânienne et repoussant les structures cérébrales contre les parois, comme on peut le voir sur l'image ci-dessous :

A gauche, le crâne au cerveau creux, à droite, un cerveau "normal"
Cette découverte provoque la stupéfaction. Comment cet homme a-t-il pu maintenir une activité normale ? En effet, à part un QI légèrement plus faible que la moyenne, vraisemblablement dû au faible volume du cerveau (blague facile sur l'administration à caser ici), ce patient ne manifeste aucun signe de dysfonctionnement cérébral. Pour comprendre, il faut d'abord savoir comment un cerveau "normal" est fait.

Cartographie du cerveau

Un cerveau "normal" est structuré en régions fonctionnelles : des aires qui sont dédiées et nécessaires à certaines fonctions (le langage, la vision, la motricité etc.). Les structures situées au centre du cerveau par exemple, sont indispensables à la coordination des mouvements. Or, celles-ci ne sont même pas visibles sur le scanner du patient !
Les aires du cerveau, affectées à différentes fonctions
On sait depuis des dizaines d'années que le cerveau a une certaine plasticité, qu'il peut se déformer ou "respécialiser" certaines zones à la suite de traumatismes par exemple, mais on n'avait jamais observé un cerveau où des zones fonctionnelles entières avaient disparu.

La théorie du cerveau plastique

Le cerveau est une pâte à modeler neuronale.
En réalité, ces zones n'ont pas vraiment disparu : leur forme et leur emplacement ont simplement changé avec le temps. Comme le reste du cerveau, elles ont été aplaties contre la boite crânienne. Ce changement a été très lent et progressif. Ainsi, le réseau complexe des neurones a été conservé. C'est comme si vous mélangiez deux couleurs de pâte à modeler et que vous en faisiez une boule. Sur la photo de gauche, la pâte bleue forme des zones plus ou moins concentrées et connectées entre elles. Si vous aplatissez la boule, les zones bleues changeront de place mais seront toujours connectées. Les différentes aires du cerveau existent donc bel et bien chez ce patient mais ont radicalement changé de place. Cette plasticité de l'organe au niveau macroscopique trouve son origine dans une plasticité structurelle à l'échelle des neurones.

La plasticité du cerveau en développement

Les cerveaux humains se développent tous sur le même modèle (il existe un schéma de connexions
principales) mais les réseaux des neurones changent en permanence et chaque cerveau est unique. Les réseaux se développent selon les besoins et les stimuli mais aussi selon leur environnement neuronal. Le processus d'apprentissage résulte de l'activation répétée de certains "chemins" de neurones (voir illustration ci-contre). Cette activité sollicite les régions concernées et induit la modification ou la création de connexions. La mémoire est alors la capacité du cerveau à réactiver cette connexion.

Le rôle de la plasticité neuronale dans l'apprentissage.
Le terme "plasticité" désigne cette capacité à évoluer et à se réorganiser perpétuellement. Elle a pour origine une plasticité structurelle : en cas de besoin, le cerveau peut se modifier physiquement. Par exemple, lorsqu'une région du cerveau est endommagée, la fonction qu'elle exerçait est partiellement octroyée à une région proche. Ainsi, le handicap résultant est moindre. Ce processus graduel est surtout observé chez les enfants, chez qui le cerveau est encore en formation (le nombre de circuits neuronaux potentiels est énorme) et où la production de neurones est encore très active. La vidéo ci-dessous montre cette plasticité à l’œuvre : pour apprendre à conduire ce vélo au guidon modifié, Destin Sandlin a mis plus de huit mois, quand son fils y est parvenu en deux semaines.

Les mécanismes de la neuro-plasticité

Un des mécanismes de la neuro-plasticité est l'élagage synaptique : les connexions entre les neurones sont constamment éliminées ou renforcées selon qu'elles sont peu ou beaucoup utilisées. Une "branche neuronale" qui ne sert plus est ainsi éliminé au profit de branches plus utiles. Morphologiquement, cela correspond à l'apparition, à la disparition ou à la réaffectation de certaines structures. On peut faire une analogie avec des chemins et des routes : plus un chemin de neurones, correspondant à une activité spécifique, est utilisé, plus le cerveau va lui attribuer de la place. Les tâches quotidiennes ont leur autoroute et sont quasiment effectuées de façon automatique. Les activités ponctuelles qui surviennent tous les 4 ans deviennent des chemins de montagne abandonnés. D'où l'importance de l'entrainement !

De plus, il existe également une plasticité cellulaire : plus un neurone est utilisé, plus vite il répondra à une sollicitation (sous forme de potentiel d'action) et inversement. Les sportifs par exemple, développent des comportement réflexes grâce à ce mécanisme. Cette propriété découle également d'un changement morphologique au niveau neuronal et on peut en apprendre davantage sur cette page.

Ces mécanismes font du cerveau un organe bien moins rigide que ce que l'on pensait, capable de s'adapter et d'évoluer en permanence. C'est d'ailleurs le système nerveux dans son ensemble qui semble faire preuve de plasticité. Une meilleure connaissance de ces mécanismes permettra sûrement un jour de traiter des maladies et des traumatismes impliquant une perte ou diminution de capacités cognitives ou nerveuses. Il sera possible de rééduquer une partie du cerveau après un accident, comme un muscle atrophié resté dans le plâtre. Il sera même possible de "recâbler" le système nerveux et de pallier un handicap, en s'inspirant par exemple de cette expérience dans laquelle des chercheurs sont parvenus à faire pousser un œil fonctionnel sur la queue d'un xénope.

Pour en savoir plus et découvrir d'autres exemples extraordinaires des capacités d’adaptation du cerveau, vous pouvez regarder cette série de vidéos documentaires, initialement programmées sur Arte.




2 commentaires:

  1. Merci pour cet intéressant article. Je n'avais pas compris la plasticité neuronale (tout simplement parce que j'etais restée sur les anciennes connaissances, d'un cerveau qui arrête de progresser après 20 ans) avant l'AVC de ma mère l'an dernier qui m'a donc fait découvrir cette étonnante propriété. J'ai lu le bouquin parlé dans la vidéo (les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau) qui permet de donner espoir et courage à ceux qui ont eu "un pépin". C'est fascinant.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour ce commentaire! Je suis aussi en train de rattraper mon retard, je me suis programmé un peu de lecture pour cette semaine. Entre ça et la semaine du cerveau, j'espère être au point bientôt.

    RépondreSupprimer