lundi 24 septembre 2012

Les diamants de Popigaï : 100 000 000 000 000 de dollars à portée de main ?

L'info est reprise et commentée un peu partout depuis une semaine : le gouvernement russe a déclassifié un document secret-défense concernant le plus grand gisement de diamants du monde. Tenue cachée pendant près de 40 ans, l'existence de cette mine pourrait, aux dires de certains, bouleverser le marché des diamants et déboucher sur une révolution industrielle ! Qu'en est-il vraiment ? 

Un cratère qui cache un secret

Situé au fin-fond de la Sibérie, le cratère de Popigaï n'est évidemment pas un mystère. Bien connu des géologues, sa formation résulte de la chute d'une météorite de plusieurs kilomètres de diamètre (entre 5 et 8) il y a 35,7 millions d'années. A titre de comparaison, la météorite que l'on suspecte d'avoir été à l'origine de "l'extinction des dinosaures", mesurait 10 km. Quant au cratère d'impact, c'est le 4ème plus grand sur notre planète ; il mesure environ 100 km de diamètre.

Russian Diamonds
Le cratère de Popigaï, vu de l'espace, crédits: NASA
L'énergie dégagée lors de la collision a été colossale : la météorite s'est vaporisée à 99%. L'onde de choc a pulvérisé toute la région et, c'est ici que cela devient bigrement intéressant, sur une couronne de 1.6 km, à 12 km du centre d'impact, la pression a transformé une bonne partie du graphite contenu dans le sol en millions de petits diamants. Plus près du point d'impact, la  température et la pression extrême on vaporisé ou liquéfiée la roche. On trouvera davantage d'informations géologiques dans ce document.

L'immense gisement est découvert dans les années 70. En pleine guerre froide, pour des raisons stratégiques et économiques (pour ne pas concurrencer les mines de la région de Yakoutie, pour ne pas inonder son propre marché et pour encourager la production de diamants de synthèse) les russes préfèrent cacher l'existence de cette formidable réserve. Bien après la chute du régime communiste, l'existence du gisement de Popigaï est révélée en 2009 mais c'est seulement depuis le 15 Septembre dernier que les scientifiques de l'institut de Géologie et de Minéralogie Sobolev à Novossibirsk ont l'autorisation officielle d'en parler. Et ils ne se sont pas faits priés ! Mais avant d'en arriver aux chiffres, faisons un petit point sur le diamant :
 

Le graphite, le diamant et ... la lonsdaléite

Diagramme de phases du carbone
Le graphite et le diamant sont deux formes cristallines d'un même composé : le carbone. Selon les conditions de température et de pression, le carbone adopte l'une ou l'autre des configurations. Au niveau atomique, cela se traduit par une réorganisation des atomes de carbone. Le graphite a une structure hexagonale (voir schéma ci dessous) et se compose de plans superposés peu liés entre eux, ce qui explique sa friabilité. Le diamant en revanche, a une structure cristalline compacte qui lui confère une dureté exceptionnelle. Dans le diagramme ci-contre, on peut voir dans quel état se trouve le carbone à une température et à une pression données. A température ambiante et à pression atmosphérique, il est sous forme de graphite (une roche très friable et noire que l'on trouve dans les mines de crayon). Mais si la pression dépasse les 70 GPa (presque 700 atmosphères), le carbone adopte la structure du diamant, une roche extrêmement dure et très prisée par les joaillers. La pression lors de l'impact météoritique a atteint 692 GPa, largement de quoi produire des cristaux de diamant ! Un peu trop même !


Fichier:GraphitGitter4.png

Structure hexagonale du graphite
Structure compacte et cubique du diamant

Il existe en effet une troisième forme de cristallisation possible pour le carbone : celle de la lonsdaléite, dont la structure est reproduite ci-dessous. Ce minéral se forme lorsque la température et la pression sont très élevées, comme c'est typiquement le cas lors d'un impact météoritique (voir diagramme de phases ci-dessous). C'est un minéral très rare : on ne le trouve que dans les alentours des cratères météoritiques. La lonsdaléite a pour particularité d'offrir une résistance à la pression 58% supérieure à celle du diamant, ce qui en fait un matériau de choix pour l'industrie.



Une réserve de diamants de 1 000 000 000 000 000 de dollars ?

une sympathique fraise diamantée de dentiste
Popigaï abriterait-il donc un formidable trésor ? Les scientifiques précisent qu'il s'agit de diamants "industriels" : des cailloux dont la taille varie entre 0,5 et 2 mm, et qui contiendraient en outre environ 20 % de lonsdaléite sous forme d'inclusions. Des diamants très solides donc mais qui n'ont pas un grand intérêt en joaillerie (leur valeur est 5 fois inférieure à celle des diamants "gemme" utilisés en bijouterie). Ils pourront en revanche équiper les têtes des foreuses pétrolières, les scies à minéraux, les bistouris ultra-précis ou les enclumes à haute pression.

Côté chiffres, c'est un peu le grand n'importe quoi, difficile de se faire une idée du montant du pactole. Une dépêche de l'AFP, largement reprise dans la presse, avance ces chiffres : les 0,3% du gisement qui ont été exploités représentent à eux seuls 147 milliards de carats et les stocks mondiaux sont évalués à 5 milliards de carats. Ce qui signifie donc que Popigaï abrite 49 000 milliards de carats, soit quasiment 10 000 fois les réserves mondiales, ce qui parait pour le moins fantaisiste. On peut lire, dans les mêmes articles, que les réserves de Popigaï équivaudraient à 110 fois les réserves mondiales, c'est à dire 550 milliards de carats, ce qui est déjà un peu plus réaliste. Quant au magazine en ligne Futura Sciences, il évoque "1000 milliards de carats", soit 10 fois les réserves mondiales, un chiffre cohérent avec l'estimation des réserves mondiales données par d'autres sources, comme Wikipédia par exemple. Dans ce cas, Popigaï abriterait effectivement 110 x 100 = 11 000 milliards de carats.

On s'y perd un peu, mais les scientifiques de Sobolev expliquent que les réserves de Popigaï correspondent à 3.000 ans d'approvisionnement et pourraient entraîner "une révolution industrielle dans le monde". La mine contiendrait donc au moins plusieurs centaines de milliards de carats en tout et, même si le calcul du prix d'un carat est un secret jalousement gardé par la diaspora diamantaire, cela représente un sacré butin pour l'ex-mère Russie. En comptant 20 dollars le carat, on arrive à 220 mille milliards de dollars..

Cet enthousiasme est cependant tempéré par de nombreux analystes pour qui l'évaluation des réserves est sujette à caution. Ils font également valoir le fait que l'exploitation de la mine risque d'être très difficile et probablement moins rentable que prévu. Les diamants utilisés dans l'industrie ne coûtent pas très chers : ils sont en effet majoritairement des sous-produits des mines de diamants destinés à la bijouterie ou des diamants de synthèse reconstitués à partir de poussière de diamant. Extraire de vrais diamants d'une mine isolée et glaciale pourrait donc ne pas être aussi intéressant que l'espèrent les scientifiques de l'institut.


Il va falloir attendre encore un peu pour être fixés... La vérité est sans doute quelque-part entre les deux ! 

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