Une piste de bosses |
L'apparition des premières bosses
L'apparition des premières bosses est un phénomène chaotique : la
trajectoire du skieur obéit certes à certaines contraintes (il doit
descendre la piste en plaçant des virages sans sortir de la piste) mais
reste aléatoire. Les premières traces ressemblent à l'image ci-dessous. Le quadrillage sert à montrer l'intensité de la pente, plus les traits sont rapprochés, plus ça descend vite. La neige expulsée à l’extérieur des virages est dessinée en bleu.
Trajectoires de skieurs sur une piste de ski |
Pour simplifier le problème, on peut considérer que ce sont les premiers skieurs, généralement des bons skieurs habitant la région, qui forment les premières bosses. Et pour simplifier encore, on a qu'à dire qu'ils ont à peu près la même carrure et le même niveau. On peut alors supposer qu'ils marqueront les mêmes courbes sur une portion de la piste de même pente. On peut simplifier encore et modéliser la trajectoire par une fonction sinusoïde simple, de longueur d'onde λ (Lambda) :
Si l'on part du principe que le skieur va essayer de skier sur les portions vierges de la piste, et que par la suite, les trajectoires vont être cantonnées dans des couloirs délimités par les bosses déjà existantes, on trouve que le cas limite est celui-ci (en bleu, le centre des bosses, en noir, les trajectoires possibles) :
La répartition des bosses est un réseau en losanges qui peut être décrit par un paramètre seulement : l'angle thêta qui dépend principalement de la pente et de la vitesse des skieurs. On peut aussi voir que la distance entre 2 bosses successives correspond à la moitié de la longueur d'onde de la trajectoire du skieur. Les bosses sont séparées dans la largeur de la piste par une distance égale à deux fois l'amplitude.
Un parallèle avec la cristallographie
Le réseau idéal créé par les bosses ressemble à un réseau cristallin en 2D. Il est d'ailleurs possible qu'un processus analogue à celui de la germination soit à l’œuvre ici ; au début, les bosses ne sont pas assez hautes pour dissuader les skieurs. Mais dès qu'une bosse atteint une taille critique, elle va forcer les skieurs à marquer un virage prononcé en amont. Ceci aura pour conséquence la formation de nouvelles bosses non loin de l'endroit où la première bosse s'est formée.Modéliser un champ de bosses
Je n'ai bizarrement pas trouvé beaucoup de documentation au sujet de la modélisation d'un champ de bosses, mais je vais poursuivre mes recherches (peut-être cette page qui cite le nombre de Froude utilisé en mécanique des fluides). Je n'ai pas de quoi modéliser moi-même le phénomène, sauf en simplifiant à l'extrême, ce que j'ai fait ci-dessous, avec ma bonne vieille calculatrice de lycée. J'ai considéré que les bosses étaient formées par un seul passage, ce qui ne correspond pas du tout à la réalité mais bon..Voici les détails : je suis parti d'une piste de pente homogène que le skieur parcourt dans l'axe à une vitesse constante. Les trajectoires des skieurs sont caractérisées par cette équation :
f(x) = A cos (kx +ϕ) + Yo
Elles sont différenciées par leur point de départ (Yo), leur phase à l'origine ϕ (Phi), leur amplitude A et longueur d'onde lambda ( λ= 2π/k) choisis aléatoirement (avec une marge de +/-10%).
J'ai fait dévaler les skieurs un par un. Au début, on suppose que le skieur préfère la neige vierge. A l'extérieur de chaque virage (extremum de la courbe), j'ai délimité une zone de "bosses" où le skieur suivant ne peut pas passer. Dans un commentaire, Ethaniel me signale à juste titre que la bosse n'est pas formée par la simple projection de la neige sur une surface étalée qui dépasse largement celle qu'occupe une bosse. Mais j'ai supposé que la bosse était formée par un seul passage et le fait qu'elle soit à l’extérieur ou à l'intérieur du virage ne change pas grand-chose à cette simulation de pointe. Au bout de la 5ème trajectoire, il y a déjà des ajustements à faire. Lorsque le skieur est bloqué par une bosse, je modifie aléatoirement la longueur d'onde et l'amplitude jusqu'à ce qu'il puisse passer avant ou après la bosse. Après, ça se complique, car chaque skieur doit de plus en plus adapter sa trajectoire au champ de bosse, sachant qu'il doit faire un compromis entre ne pas prendre trop de vitesse (et donc placer régulièrement des virages) et ne pas tourner tous les deux mètres. A partir d'un certain nombre de passages, le skieur n'a plus vraiment le choix. Le résultat n'est pas très convaincant et je suis limité par la taille de l'écran de la calculatrice. Voici néanmoins le résultat après une dizaine de passages :
Bon, ce n'est pas très parlant, je vais tâcher de trouver quelque chose de mieux.. Pour me faire pardonner, voici une autre fascinante découverte sur la physique des bosses de ski ; saviez-vous que celles-ci remontent la piste au cours du temps ?
Les bosses de ski montent pendant que vous descendez
En faisant quelques recherches sur internet, je suis tombé sur cet article de David. B. Bahr. Il y décrit la façon dont les bosses se comportent comme des ondes dynamiques qui progressent vers le haut de la pente à la vitesse vertigineuse de 8 cm par jour. On voit vaguement le phénomène dans la vidéo ci-dessous :Voici ce qui se passe : en freinant, le skieur racle la neige sur la partie basse de la bosse située en amont et l'expulse sur la partie haute de celle située en aval. C'est plus simple à comprendre avec un dessin :
Comment les bosses remontent la pente, adapté de l'illustration de David B Bahr |
- les skieurs ignorent les bosses dont la hauteur est inférieure à une valeur critique h.
- les skieurs ont des trajectoires sinusoïdales de longueur d'onde unique λ, de rayon de courbure r = λ/4 et de phase aléatoire ϕ.
- La hauteur de neige raclée ou accumulée en un point x par un skieur est notée a et est typiquement égale à 1 cm.
Alors, la variation de hauteur de la neige en un point x due au passage d'un skieur n est donnée par la fonction suivante :
Wn(x) = a sin(2πx/2rn + ϕn)
Si Wn(x) est positif, alors il y a un dépôt de neige. En moyenne temporelle, cette fonction est nulle, mais de temps à autres, en certains endroits, sa valeur dépassera un seuil critique au-delà duquel les skieurs choisissent de contourner la bosse. Une fois créées, toutes les bosses ne disparaissent donc pas ! En supposant que le phénomène d'érosion/déposition est décrit par une fonction d'onde carrée, on peut assimiler la somme des contributions des skieurs (c'est à dire la hauteur de la bosse) à une marche aléatoire autour de zéro. La déviation est alors typiquement égale à aN1/2 où N est le nombre de skieurs. La bosse atteint donc la hauteur critique h lorsque N = (h/a)2. David. Bahr suppose que 100 passages de skieurs sont nécessaires pour créer des bosses "viables", la hauteur critique étant alors h/a
≈ 10 cm. Personnellement, j'ai l'impression que c'est un peu plus, mais je ne vais pas chipoter. A partir de ce moment, la bosse va grandir et crapahuter la pente !
C'est tout pour aujourd'hui, à moins que vous ne soyez tentés de lire cet article où la structure de l'espace-temps est comparée à celle d'un champ de bosses au ski !
A découvrir sur le Café des Sciences : Skier sur du gallium
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Excellent!
RépondreSupprimerJe m'étais posé la question pas plus tard que la semaine dernière du haut du télésiège... Et d'ailleurs appréciant le ski de bosses je me pose la question de plus longtemps mais sans jamais avoir cherché la réponse !
Peut-être qu'un facteur est à prendre en compte: le passage de skieur "débutants" dont les caractéristiques seraient les suivantes:
- Ils font de grandes traversées (A est très important).
- Comme ils sont débutant ils n'évitent pas les bosses mais vont raboter les plus petites
Après ils ne vont sans doute pas assez vite pour influencer la répartition de la neige...
Fameux.
SupprimerOui, c'est vrai que les trajectoires des débutants ne rentrent pas du tout dans le cadre. Mais j'imagine qu'il y en a pas tant que ça sur les pistes de bosses? Ou alors ils traversent la piste de long en large? Et puis surtout, ils ont tendance à passer dans les chemins entre les bosses.. Difficile d'évaluer leur contribution mais j'examinerai tout cela sur le terrain la semaine prochaine :)
RépondreSupprimerMerci Karim pour cet article passionnant en réponse à ma modeste question et qui t'a valu les deux dernières minutes de l'émission de la tête au carré du 25/02/2013.
RépondreSupprimerJ’avoue être un peu surpris par l’axiome selon lequel c’est la neige éjectée à l’extérieur des virages qui forme des bosses.
RépondreSupprimerCertes, cette neige va bien quelque part, mais elle ne va pas se concentrer bien gentiment en une jolie bosse localisée, elle va plutôt être dispersée assez largement en une grande gerbe qui va certes contribuer à faire grandir les bosses alentour, mais aussi à reboucher les creux entre lesdites bosses alentour.
À mon sens, LA bosse bien localisée qui va se former, c’est plutôt celle à l’intérieur du virage, non pas par ajout de neige par dessus mais au contraire par extrusion de la neige à la frontière de cette bosse en devenir.
Cela dit, ça ne change pas grand-chose à la simulation sur « bonne vieille calculatrice de lycée » ;).
Concernant la trajectoire en elle-même, j’aurais plutôt vu des segments de droite reliés par des arcs de cercle d’en gros 1 m de rayon (sachant que la trajectoire n’est pas un trait mais plutôt un ruban d’une quarantaine de cm de large), avec une forte propension à viser l’amont d’une bosse existante pour pouvoir la contourner.
Mais là, la simulation devient un poil plus difficile ^^"…
@ Anonyme : merci à vous pour la question (et vive la TAC)!
RépondreSupprimer@ Ethaniel : c'est vrai, je vais modifier. En tournant, le skieur "racle" de la neige d'un côté et l'expulse de l'autre. Au fur et à mesure que les bosses grandissent, les virages sont plus marqués et les phénomènes de déposition/érosion évoluent aussi.. Pour la modélisation de la trajectoire, j'ai l’impression que celle avec les segments et les arcs de cercle correspond à celles que décrivent les skieurs lorsque les bosses sont déjà bien formées. J'ai sollicité de l'aide pour cette question. Dès que j'aurai de plus amples informations croyez bien que vous en serez les premiers informés!
Bon travail Karim ! J'habite à Park City, aux Etats-Unis, je suis un ancien moniteur du ski français et je skie plus de 100 jours par saison. Je suis très au courant des recherches faites par David Bahr, qui prétend que la neige "remonte". C'est une vue de l'esprit mais une négation des lois fondamentales de gravité. C'est en fait juste une illusion d’optique qui donne l'impression de « remontée » des bosses dans la pente, alors que la masse globale de neige continue de descendre étant poussée inexorablement vers le bas, tirée par les forces de gravité. Pour ce qui concerne le reste de l'article, l'explication reste peu claire et l'ordre géométrique en lozenges, qui est très vraie dans la réalité, n'est pas vraiment clarifié et développé comme je l'attendais.
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