Previously, in desperate liquids :
Jésus a multiplié des céleris et a décidé de ne plus s'épiler les jambes. Les liquides sont toujours tiraillés entre gravité et tension de surface. Cette dernière les pousse à minimiser leur surface d’exposition et à s’organiser spontanément en boules ou en gouttes. Outrées par ce dictat communautariste, quelques décilitres d'eau fuient dans l'espace. Las, la tension superficielle les rattrape et leur passe un savon.
L'eau dans l'espace est une sacrée tannée |
Instant biblique : "Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : « Buvez-en tous, car ceci est de l'encre de poulpe".
Le schisme des tensioactifs
Les tensioactifs sont des molécules aussi asymétriques que Louis Bertignac : l’une de leurs extrémités est attirée par l’eau (elle est hydrophile), l’autre la fuit comme la peste (elle est hydrophobe). On dit qu’elles sont amphiphiles. Les tensioactifs les plus couramment utilisés dans la vie quotidienne sont les savons et les détergents. Les premiers sont destinés à la toilette, et les seconds, plus agressifs, au nettoyage.Le dodécylsulfate de sodium (SDS) par exemple, est un tensioactif puissant que l'on retrouve dans les shampoings, le dentifrice, certaines drogues, et de façon générale, dans tout ce qui a besoin de mousser. Comme les molécules de savon, il est composé d'une longue chaine d'atomes de carbone et d'hydrogène (en gris et blanc dans la figure ci-dessous) et d'une tête où l'on retrouve le sulfate de sodium (en rouge et jaune).
La chaine carbonée est un hydrocarbure, comme le pétrole, et ne se mélange pas avec l'eau (par contre, elle aime l'huile). La tête en revanche, porte des atomes d'oxygène et une charge électrique négative, ce qui attire les molécules d'eau. Autrement dit, les deux parties de la molécule ont des propriétés antagonistes : la tête aime l’eau et la queue aime la graisse (ne pas sortir cette phrase de son contexte), et vice et versa. Il en résulte que, plongée dans l'eau, la molécule se débrouille pour flotter à la surface, en ne mouillant que la tête.
Lorsque l’on rajoute du savon ou du détergent dans l’eau, les molécules s’étalent de façon à occuper la totalité de la surface, forçant les molécules d’eau à réintégrer le volume du liquide. Le schéma ci-dessous montre comment des molécules de détergents (SDS) se comportent dans l’eau :
Instant biblique : Travail de réflexion : sommes-nous comme des molécules de détergents ? Prompts à se répandre superficiellement, en marchant sur la tête ?
Cette nature duale confère aux tensioactifs des propriétés très utiles ; elles sont capables, entre autres, d’abaisser la tension superficielle d’une goutte de liquide. Le liquide aura alors moins de force pour garder sa jolie forme sphérique, et cédera plus facilement aux charmes de la pesanteur, en s'étalant comme une
Il suffit maintenant de verser une goutte de liquide vaisselle dans le verre. La tension de surface chute brutalement et le trombone coule.
Pour illustrer le phénomène d’étalement des molécules de savon, on peut réaliser l’expérience suivante : dans un saladier rempli d’eau, on dispose quelques allumettes au centre de la surface de l’eau (ça marche aussi avec n'importe quel truc léger qui flotte). Puis on verse une goutte de savon liquide au centre. Les allumettes sont instantanément repoussées vers les bords : les molécules de savon ont occupé la surface.
Dans le même genre, vous pouvez réaliser la jolie expérience suivante :
Instant biblique : "Moïse étendit sa main sur le lait et versa sept fois soixante-dix-sept gouttes de savon. Et les colorants se dispersèrent. L'Éternel s'adressa à Moise : "C'est joli, je vais poster la vidéo sur Yahvétube.".
L'arche de Noé propulsée par la tension de surface
Pour s'amuser encore un peu avec l'effet d'étalement rapide, on peut réaliser cette petite expérience avec trois fois rien : un bout de carton, de papier rigide ou de plastique en guise de bateau, du liquide vaisselle, et un récipient rempli d'eau. Commencez par confectionner le bateau, en réalisant quelque chose comme ça :Bateau en papier ou en carton, crédits : Science by Email |
Forces s'exerçant sur le bateau en papier, crédits : Science by Email |
Le bateau est propulsé par la différence de tension de surface, crédits : Science by Email |
Instant biblique : « Fais-toi une arche en plastique résineux. Tu feras à l'arche un trou dans lequel tu verseras le Palmolive de la paix."
Mesurer la taille d’une molécule de savon
En reprenant le principe de l’expérience précédente, avec un protocole légèrement différent, il est possible de mesurer grossièrement la taille des molécules de savon. Pour vous donner une idée de ce que l'on va faire, regardez cette courte vidéo :Le matériel nécessaire :
- du poivre moulu (ou du talc, ou un truc poudreux qui flotte)
- du liquide vaisselle
- Un grand saladier, une bassine d'eau, un étang ou un lac
La démultiplication des molécules.
Une goutte de liquide-vaisselle contient beaucoup trop de molécules de savon, il va donc falloir la diluer avant de pouvoir réaliser l'expérience (à moins que vous n'ayez un étang ou une cuve de 10 mètres à portée de main). Les liquides-vaisselle vendus en grande surface sont déjà dilués d’un facteur 5 environ, c'est-à-dire qu’ils contiennent à peu près 20 % de molécules de savon. Pour obtenir une solution encore plus diluée (d'un facteur 100 environ), procédez comme suit.Versez 50 ml de produit vaisselle dans un récipient d’un litre. Complétez avec de l’eau et remuer pour rendre le mélange homogène. Vous obtenez ainsi une solution diluée 20 fois préparée avec un liquide-vaisselle déjà dilué 5 fois. On a donc une solution diluée 100 fois. Vous pouvez adapter le facteur de dilution en fonction de votre équipement, mais il faudra en tenir compte dans la suite.
Le protocole expérimental :
Remplissez un grand saladier ou une bassine d’eau. Saupoudrez la surface avec le poivre. Trempez ensuite un cure-dent dans la le liquide-vaisselle dilué et tenez le au-dessus du centre du récipient rempli d’eau, jusqu’à ce qu’une goutte se détache et tombe.
Lorsque la goutte rentre en contact avec l’eau, elle s’étale et chasse le poivre sur une zone qui a la forme d’un disque.
Les molécules de savon se sont réparties à la surface, droites comme des i, du moins c'est ce que l'on suppose ici. Elles forment une sorte de galette super plate. Le volume de cette galette contient forcément la totalité des molécules de savon contenues auparavant dans la goutte de liquide-vaisselle dilué. Autrement dit, la galette a une molécule d’épaisseur. C’est cette épaisseur que nous allons calculer :)
Instant biblique : Les deux femmes se disputaient l'enfant survivant. Salomon réclama une règle et ordonna :"Mesurez le rayon de l'enfant et calculez son volume". Mais les mères qui ne comprenaient pas insistèrent pour qu'on les départage. "Taisez-vous ! Tout serait bien plus simple s'il avait la tête cubique !".
Il nous manque deux informations : la surface de la galette et le volume de la goutte.
Mesurez le rayon R de la galette, ce qui permettra de calculer sa surface S. Dans notre exemple, le disque mesure environ 30 cm de diamètre, c'est-à-dire 0,15 mètres de rayon. La surface S du disque est donc égale à π x R² = π x 0.15² = 0.07 m².
Quant au volume V de la goutte de liquide-vaisselle dilué, il est d’environ 20 mm3, soit 2 x 10–8 m3. Comme le liquide vaisselle est dilué 100 fois, ce sont en réalité 2 x 10–10 m3 de molécules de savon qui ont été versées au centre du récipient.
Vous pouvez maintenant calculer la taille approximative des molécules de savon, qui correspond à l'épaisseur du disque :
L’épaisseur e du disque est donnée par e =V/S
e = 2 x 10–10 / 0.07 = 2.89 x 10–9 mètres, c'est-à-dire presque 3 nanomètres. C’est bien sûr une estimation très approximative, mais ça donne une idée de la taille d'une molécule de savon : on peut en ranger 3 millions sur un millimètre !
Cette expérience est adaptée de celle réalisée par Benjamin Franklin en 1776, qui avait contemplé avec effarement les proportions gigantesque prises par une tâche d'huile à la surface d'un étang. On peut en apprendre davantage en lisant "L’expérience de la tache d’huile de Franklin" sur le blog Science Étonnante.
Bon, je m'arrête ici, la suite au prochain épisode, avec plein de vidéos cools sur les matériaux hydrophobes !
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