Un calendrier cyclique Maya |
Pour ceux qui ne se sont jamais posé la question
S'il vous ne vous êtes jamais demandé ce qu'est le temps, c'est que vous êtes probablement bien trop sensé pour en perdre. Je vous invite cependant à prendre quelques minutes pour y réfléchir. Comment définiriez-vous le concept de temps ? C'est une notion tellement intuitive qu'elle parait évidente. Pourtant, le temps n'a pas une forme universelle, que ce soit d'un point de vue culturel, psychologique ou physique. Aujourd'hui, nous sommes habitués à représenter le temps comme une ligne allant du passé vers le futur. Mais de nombreuses autres cultures, passées ou contemporaines, envisagent le temps comme un cycle, souvent indéfiniment répété, ou une spirale. On s'imagine souvent l'avenir "devant soi", tournant le dos au passé. Mais certaines cultures voient le temps comme une ligne allant du futur vers le passé, l'Homme faisant face à ce qu'il voit et connait, c'est à dire le passé. L'avenir ne lui est pas connu : c'est donc qu'il est derrière lui !Ces représentations culturelles se mêlent à notre perception psychologique du temps. Pour des raisons pratiques, nous avons subdivisé la durée du jour en parts égales, mais cela ne nous empêche pas de trouver certaines heures plus longues que d'autres, comme celles passées devant le film Moonrise Kingdom. Ces multiples perceptions du temps ne sont pas pour autant des définitions. Et comment est-il possible d'étudier quelque-chose qui échappe à la définition ?
La définition impossible
R.Feynman par H.Wilson |
"Qu'est ce que le temps? Ce serait bien si l'on pouvait trouver une bonne définition du temps. Le dictionnaire (webster en anglais) définit "un temps" comme "une période", et "une période" comme "un temps", ce qui ne semble pas très utile. Peut-être devrions-nous dire : "Le temps est ce qui (se) passe quand rien d'autre ne se passe". Ce qui ne nous amène pas très loin non plus. Peut-être est-ce tout aussi bien d'admettre le fait que le temps est probablement une de ces choses que nous ne pouvons définir (dans un dictionnaire), et nous contenter de dire que c'est ce que nous savons déjà : c'est combien il nous faut attendre!"
Si Feynman a renoncé à donner une définition au temps, je n'essaie même pas. Mais je peux néanmoins parler des tentatives faites dans ce sens, d'un point de vue scientifique.
Pour les scientifiques, le temps est, comme l'espace, une composante du contexte dans lequel les événements se produisent. Et, comme l'espace est rattaché au support matériel qui le crée (une chambre, une route ou une planète par exemple), le temps est également lié à la matière; c'est les conclusions de la théorie de la relativité générale. Mais il est impossible de mesurer le temps comme on mesure l'espace. On ne peut que mesurer l'écoulement du temps (pour approfondir le sujet, les ressources ne manquent pas, par exemple le classique Une brève histoire du temps de S.Hawking). Pour tenter de substituer à notre perception "psychologique" du temps une base concrète, les scientifiques s'appuient sur certains principes mieux définis (du moins en apparence) : le principe de causalité et l'entropie.
Le principe de causalité
Remettre les images dans l'ordre. Crédits : Pepit. |
La flèche du temps et l'entropie
Cette flèche du temps reflète en quelque sorte notre impression psychologique mais surtout une réalité physique ; la plupart des évènements que nous observons se produisent dans un sens mais pas dans l'autre. Par exemple, on peut faire cuire un œuf en le faisant bouillir mais on ne peut pas retrouver l’œuf de départ en le refroidissant (même si des progrès ont été réalisés dernièrement dans ce sens). Si l'on mélange deux couleurs de peinture, il est impossible de revenir en arrière. Pourtant, il est rare que les physiciens retrouvent cette flèche du temps dans leurs équations : celles-ci sont très souvent invariantes lorsque l'on change le sens d'écoulement du temps (c'est-à-dire que la transformation décrite par l'équation peut se faire dans un sens ou un autre). Par exemple, il importe peu de savoir si la balle dans le dessin ci-dessous va de gauche à droite ou de droite à gauche. Les points décrits pas la trajectoire sont les mêmes, quelque soit le sens d'écoulement du temps.C'est là qu'intervient le second principe de la thermodynamique (ou principe de Carnot). Pour comprendre ce principe, il faut d'abord introduire la notion d'entropie.
L'entropie est une grandeur physique assez abstraite, introduite par le physicien allemand Rudolf Clausius en 1865, lorsqu'il reprit les travaux du français Sadi Carnot. Elle fut plus tard interprétée comme une mesure du degré de désordre microscopique d'un système. L'entropie (le "désordre") d'un système a la particularité de ne pouvoir qu'augmenter (ou rester constante à la limite) au cours du temps. Un exemple courant est celui du sirop versé dans de l'eau: une fois que le sirop s'est diffusé et mélangé, les molécules sont dans le désordre le plus total et le système a atteint son entropie maximale. Cette transformation est irréversible : il est impossible de revenir en arrière.
C'est ce que traduit le second principe de la thermodynamique. Il stipule que "toute transformation s'effectue avec une augmentation de l'entropie" et que cette transformation est irréversible. Autrement dit, lorsqu’un système isolé évolue au cours du temps (en subissant diverses transformations), son entropie augmente. On peut par exemple considérer l'entropie d'un glaçon qui fond : au départ, les molécules sont bien rangées en un cristal de glace. Au fur et à mesure que le glaçon passe à l'état liquide, où les molécules sont presque complètement désordonnées, l'entropie augmente grandement. Et le processus est irréversible : même si la température redevient négative, les gouttes d'eau formées ne vont pas reprendre leur place initiale et reconstituer le glaçon d'origine. En fait, l'entropie est la seule chose dont on est absolument sûr qu'elle va, si ce n'est rester constante dans des cas très rares, augmenter avec le temps. Réciproquement, les physiciens ont défini le sens d'écoulement du temps comme celui dans lequel l'entropie augmente irréversiblement.
L'entropie augmente pendant que le glaçon fond |
Crédits: Kam's Blog |
Ces deux principes sont relativement faciles à utiliser dans le monde macroscopique où nous vivons, où le temps semble s'écouler de façon continue, toujours au même rythme, toujours dans la même direction. Mais que se passe t-il à l'échelle d'une particule ?
L'écoulement du temps au niveau des particules
J'en viens maintenant au sujet de ce premier épisode. Changeons d'échelle pour considérer le monde des particules, où les plus grands objets mesurent quelques angströms seulement (0,0000000001 mètres). Comment une particule perçoit-elle l'écoulement du temps ? Comment sait-elle dans quelle direction pointe la flèche du temps ? Les principes définis auparavant sont ils applicables ?Le monde de l'incertitude
Comme on s'en doute, tout change dans le monde des particules. A cette échelle, c'est la physique quantique qui décrit le comportement des particules. Cette description est presque entièrement statistique et on ne peut que donner une probabilité plus ou moins grande qu'une particule soit dans tel ou tel état. Pour en savoir un peu plus, vous pouvez lire la section wikipedia consacrée à la physique quantique.Le monde quantique est également fondamentalement indéterminé : il y a une limite, liée à la nature même de la matière -et non à la précision de nos mesures-, à ce que nous pouvons connaitre de l'état d'une particule. Ce fait a été traduit en équations par le physicien allemand W.Heisenberg : son principe d'incertitude pose les limites objectives de notre connaissance du monde quantique. Par exemple, il n'est pas possible de connaitre précisément la vitesse et la position d'une particule. Plus l'on en sait sur la vitesse moins on n'en sait sur la position et inversement.
De même, il n'est pas possible de connaitre parfaitement à la fois l’état énergétique d'une particule et la durée de cet état. Il y a une limite réelle à notre connaissance de l'évolution temporelle d'une particule. Celle-ci est d'autant plus faible que notre connaissance de l'état énergétique du système est grande. Heisenberg a mis en forme cette impossibilité de déterminisme en inégalités. Je montre ci-dessous celle qui lie l'incertitude sur l’énergie à celle sur la "durée de vie du système quantique".
Cette inégalité peut-être formulée ainsi : l'incertitude sur l'énergie multipliée par celle sur le temps est toujours supérieure ou égale à une constante (la constante de Planck réduite). Cette constante est très faible : elle est de l'ordre du milliardième de milliardième de milliardième de milliardième et n'a absolument aucun impact sur des objets à l'échelle humaine. En revanche, elle devient réellement significative à l'échelle des particules.
Comme il est impossible de connaitre de façon absolue l'évolution temporelle de la particule, il devient possible de "violer" le principe de causalité (sans pour autant remettre en question le lien de cause à effet) : un effet peut sembler précéder la cause, sans que l'on puisse savoir d'ailleurs si c'est le cas ou non.
Le cas troublant du photon
Le photon, la particule de lumière, est très particulière: elle n'a pas de masse (du moins, c'est ce qui est généralement admis), elle est sa propre antiparticule et surtout rien ne peut voyager aussi vite qu'elle (enfin presque, il existe d'autres particules sans masse qui se déplacent également à la vitesse de la lumière, c'est le cas de certains neutrinos par exemple). Que se passerait-il si vous pouviez chevaucher un photon dans sa course fantastique ? Et bien premièrement, vous constateriez que le temps ne s'écoule plus. La vitesse de la lumière est la vitesse limite pour toutes les particules. Dans le cadre de la théorie de la relativité, plus l'on va vite, plus la vitesse d'écoulement du temps est faible, jusqu'à devenir nulle lorsque l'on atteint la vitesse de la lumière. Un photon n'a donc aucune idée que le temps existe ; pour lui, ni le futur ni le passé existent. Ce paradoxe est très largement discuté ailleurs et, même si la question est passionnante, je passe à la suite. J'aurai cependant l'occasion de reparler du photon un peu plus loin, notamment pour évoquer le rapport entre masse et écoulement du temps.L'entropie et la flèche du temps quantique
La notion d'entropie existe également en physique quantique, mais peut-on l'utiliser pour déterminer dans quel sens s'écoule le temps? Les particules échangent de l’énergie par petits paquets indivisibles (les quantas qui ont donné son nom à la physique quantique). L'évolution d'un système n'est donc pas continue mais discrète. De la même façon, l'entropie évolue par paliers, comme une fonction discontinue du temps :La frontière quantique
A quel moment passe t-on du monde que nous connaissons, au monde quantique ? Pourquoi les objets de notre quotidien ne se comportent-ils pas de façon "quantique" ? Ils sont pourtant faits d'atomes qui, pris séparément, obéissent aux règles de la mécanique quantique. Il semble que, passé une certaine taille, un système d'atomes devient subitement "classique". Le groupe d'atomes joyeux et imprévisible passe soudainement à un groupe ennuyeux et déterminé. Le passage d'un comportement "quantique" à un comportement "classique" (c'est à dire macroscopique) est appelé décohérence quantique. Ce phénomène marque la transition entre un état décrit en termes de probabilités, où toutes les possibilités se superposent, à un état unique et défini (ce que l'on observe dans la vie réelle). C'est comme si le système choisissait d'un coup d'être dans tel état, en oubliant toutes les autres possibilités.Peut on envisager qu'un phénomène analogue se produise au niveau temporel ? Autrement dit, les particules ont elles une flèche du temps propre et "aléatoire" lorsqu'elles sont isolées et une flèche du temps commune lorsqu'elles interagissent entre elles ? Dans ce cas, la flèche du temps de l'Univers s'imposerait elle à toutes les particules, comme un torrent impose aux particules d'eau une direction particulière ?
Existe t-il un phénomène de décohérence temporelle? |
L'humain lambda ne perçoit qu'une dimension du temps et trois de l'espace. Ne serait ce là qu'une affaire de perception ?
RépondreSupprimerQuelqu'un a t il envisagé une notion fractale du temps ?
je parlerai d'espace-temps et de temps fractal la prochaine fois :)
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